Eolo, que je représente ici, est une association créée en particulier avec Max Barboni – l'artiste dont les photographies illustrent le programme de ce colloque – afin de rassembler des artistes plasticiens, musiciens, danseurs ou comédiens qui désirent travailler avec des personnes en situation de vulnérabilité et qui trouvent ainsi un espace pour échanger avec des professionnels du handicap ou de l'exclusion autour de leur pratique, pour avancer, confronter, ajuster.

En effet, un bon artiste n'est pas forcément un bon pédagogue et cette rencontre singulière entre le monde de l'handicap et de l'art ne doit pas être un choc qui enfermerait chacun des deux partenaires dans une mauvaise image de lui-même ou les entraînerait dans un délire, mais elle doit être un vrai partage dans une démarche artistique qui peut intégrer, changer l'image de soi, voire avoir des incidences thérapeutiques sur les participants comme l'animateur, mais qui n'est en aucun cas pour nous une démarche d'art thérapie.

L'Opéra Coté Cour existe grâce à Serge Dorny qui est venu il y a trois ans voir jouer à l'hôpital psychiatrique 8 jeunes autistes qui travaillaient autour de l'Arche de Noé de Benjamin Britten. Il a pu constater que sur une scène ces jeunes dépassaient leur maladie et mettaient le chaos, où ils sont parfois, entre parenthèse. Sans doute l'Opéra s'y prête t'il particulièrement car il mêle tous les arts vivants : musique, théâtre, danse, chant et il ouvre un champ du possible qui sort le malade mental de l'enfermement et du stéréotype, chacun s'appropriant l'espace artistique qui lui est proche. Le possible s'ouvre devant lui et il s'en saisit. L'espace scénique est un cadre rassurant qui le contient car il a des règles et il peut donc laisser s'exprimer toute la fantaisie dont il est porteur.

 

L'idée est donc née d'amener des enfants très différents à travailler sur une même œuvre pour s'inscrire dans une culture commune à partir d'identités, de cultures et d'histoires différentes. Il s'agit de produire une performance qui leur parle aux uns et aux autres. Ils sont accompagnés dans cette démarche par deux artistes dans chaque classe et les tandems constitués sont ainsi toujours différents : musicien-sculpteur, comédien-musicien, danseuse-plasticien. En effet il ne s'agit en aucun cas de reproduire une œuvre vue sur la scène de l'opéra, mais de laisser libre cours à l'imaginaire des enfants en leur permettant avec singulier d'aller vers un lieu commun, de créer des liens entre eux et de changer l'image qu'ils ont les uns des autres. Autistes, jeunes déficients intellectuels, enfants scolarisés en ZEP ou jeunes plus privilégiés qui vont souvent au spectacle, découvrent ainsi à l'issue du travail leur production. Le regard porté sur soi et sur l'autre se modifie car à ce moment là les plus en difficultés sont souvent aussi performants que les autres voire plus. La légitime fierté qu'ils ont à jouer dans un des plus beaux lieux culturels de l'agglomération n'est pas étrangère au fait qu'ils donnent le meilleur d'eux même, réduisant ainsi leur différence pour s'inscrire dans du semblable.

Qu'il s'agisse de l'Arche de Noé ou de La Flûte Enchantée, nous avons abordé les grands mythes de l'histoire humaine, inscrivant les enfants dans le récit qui relie les hommes entre eux et fonde notre existence. Il s'est agi à chaque fois de décliner les invariants anthropologiques et de la sorte d'inscrire dans la ressemblance.

J'évoquerai pour finir les spectacles de l'année dernière autour de La Flûte Enchantée, qui s'est vue retranscrite en rap avec humour et légèreté ou sous forme d'horribles cauchemars dans le placard ! Une classe a chanté en allemand, et la dernière a mis en scène la terreur dans la forêt avec des arbres maléfiques qui empêchent les amoureux de se rejoindre, évoquant le songe d'une nuit d'été.

Ainsi l'Opéra Coté Cour permet d'inscrire des enfants d'une même cité dans un lien que la culture commune permet de développer, dans des pratiques artistiques exigeantes alors qu'ils pourraient continuer à se côtoyer sans se voir ou en ayant peur de se regarder.

 

Intervention de Martine Meirieu, coordinatrice artistique de Eolo, à l'occasion des 18e Entretiens du Centre Jacques Cartier/ Université Lumière Lyon 2 à l'Opéra de Lyon les 5 et 6 décembre 2005.